Extraits d'articles de presse à propos de Marc Perrone et/ou de ses albums concerts et spectacles.
Fête de l’Huma : Marc Perrone et Grand Corps Malade se souviennent

Pour ces deux artistes nés dans le 93, la Fête de l’Huma a d’abord été un terrain de jeu et de découverte musicale. Ce week-end, ils s’y produisent tous les deux.
Ils n’ont pas le même âge, et des répertoires musicaux bien différents. Et ce week-end à la Fête de l’Huma, l’un grimpera sur la Grande scène, quand l’autre jouera « avec les copains », dans le cadre confidentiel de l’espace des « Amis de l’Huma ». Mais le slameur Grand Corps Malade et l’accordéoniste Marc Perrone ont un point commun : les deux artistes sont des enfants du 93. De ceux qui ont découvert le rendez-vous festif et politique tout jeunes. Récits.
Marc Perrone se produit dimanche à 13h30 à l’espace des Amis de l’humanité. Grand Corps Malade sera sur la Grande Scène dimanche à 14h30.«J’y ai vu Jamiroquai, IAM, Johnny... »
Grand Corps Malade, 41 ans, slameur, né au Blanc-Mesnil

La Fête de l’Huma, qu’est-ce que ça représente pour vous, qui avez grandi à Saint-Denis ?
C’est une institution, une fête qu’on ne loupait pas. J’y suis allé tout petit, en famille. Puis les parents y allaient de leur côté, et nous du nôtre. On faisait des tours de manège, on goûtait à la cuisine du monde entier, et on allait aux concerts aussi. J’y ai vu Jamiroquai, IAM, Johnny...
Et puis, désormais, c’est vous qui montez sur scène...
C’est la deuxième fois. La première, c’était en 2007. C’était aussi ma première tournée. Tout un symbole : je montais sur la Grande Scène, après avoir été du côté du public pendant des années. Au-delà de cet aspect, c’est l’une des plus grosses jauges qu’on puisse faire. On fait face à des spectateurs très nombreux.
Le public est-il différent d’ailleurs ?
Ce n’est pas un public comme dans les autres festivals, où les gens paient pour voir des artistes précis. A la Fête de l’Huma, ils paient aussi, mais les gens peuvent passer une demi-heure devant la scène, puis repartent... Il faut vraiment aller les chercher, les capter, plus qu’ailleurs.
Y a-t-il une dimension militante ?
Je ne suis pas sûr que ça l’était pour Johnny... Mais pour moi, oui. Petit, j’accompagnais mes parents, qui y allaient parce qu’ils étaient porteurs de valeurs politiques. Quand je serai sur scène, j’y penserai un peu, forcément. Je sais que ma petite chansonnette sur Patrick Balkany [NDLR : maire de Levallois-Perret, dans les Hauts-de-Seine] aura un certain écho, forcément. Même si elle bien accueillie partout...
* Son dernier album, «Plan B », est sorti en 2018.
«Le souvenir d’un concert pour Nelson Mandela»
Marc Perrone, 66 ans, accordéoniste, originaire de La Courneuve

Quel est votre rapport avec la Fête de l’Huma ?
Il remonte à mon adolescence. J’habitais à La Courneuve et c’était un rendez-vous annuel, auquel on allait à pied. Pour moi, c’était un peu comme la Foire du Trône : un endroit où on pouvait se balader, voir du monde, des spectacles. Avec la pluie, ça tournait souvent à une ambiance à la Woodstock, dans la boue. Mais pour nous, c’était l’occasion de voir des musiciens en chair et en os. Aller voir des concerts, aller au théâtre à Paris, c’était pas notre truc à l’époque.
Cela vous a marqué sur le plan musical ?
Oui, bien sûr. C’est là que j’ai découvert l’accordéon diatonique, en écoutant des musiciens cajuns, venus du sud de la Louisiane. J’ai beaucoup de souvenirs : Charles Trénet, puis plus tard, un concert des Who. C’était magnifique. De façon plus générale, mon itinéraire musical a été marqué par le 93 : lycéen, j’allais au théâtre de la Commune à Aubervilliers, j’avais un prof d’espagnol qui jouait de la guitare... La fête de l’Huma a aussi été l’endroit où j’ai croisé des compagnons de route artistiques et musicaux, comme Michel Portal, Bernard Lubat.
Vous y jouez presque tous les ans. Il y règne une ambiance particulière ?
Ah, on n’y trouve pas le recueillement d’une salle de concert ! Et on subit parfois le bruit de la grande scène. Mais on en rigole, avec les copains.
Et la dimension politique du rendez-vous ?
Je suis un sympathisant du PC, même si je n’en ai jamais été membre. J’ai souvenir d’un concert pour Nelson Mandela avec Max Roach [NDLR : en 1985, le batteur américain a joué avec de nombreux artistes]. Les mots jaillissaient comme des notes de musique. On était au croisement parfait de la création artistique et du débat politique, et ça, c’est vraiment propre à la fête de l’Huma.
* Son dernier album, « Babel Gomme » est sorti en octobre 2017.
Le Parisien / Île de France & Oise / Seine Saint Denis / 14 Septembre 2018
Gwenael BOURDON
Fin mélodiste, accordéoniste diatonique emblématique, chanteur et raconteur d’histoires, Marc Perrone fait paraître un nouvel album. Nous l’avons rencontré pour remonter le fil du temps et commenter l’actualité récente.
Vous venez d’une famille italienne ?
Oui, par mon grand-père qui est venu en France en 1924. Il est décédé en 1947. Je ne l’ai pas connu puisque je suis né au début des années 1950. Jusqu’à mon adolescence, l’Italie n’était pas vraiment mon affaire ! Mais puisqu’on allait là-bas chaque année une grande partie de l’été en vacances, cela m’est resté forcément dans la mémoire… Une de mes tantes était installée dans le nord du pays près du lac Majeur. On me laissait là-bas avec mes cousins quelques semaines. Puis on venait me chercher pour partir plus loin dans le centre-sud, le berceau de la famille.
Dans le livret de mon dernier album, je parle de tout ce parcours. Actuellement, on se focalise beaucoup sur la question des immigrés. Je pense que le problème de l’identité est mal posé. Ce n’est pas quelque chose d’inamovible. J’ai souvent rencontré des gamins en banlieue qui venaient du monde entier. Ils ont déjà une relation particulière avec plusieurs langues, celle de leurs familles et celle du pays d’accueil. Il faut les aider à développer ces notions afin qu’ils se sentent bien ici. Cela prend forcément beaucoup de temps…
Racontez-nous votre jeunesse musicale !
Je n’ai pas eu directement de formation musicale. Mon père était tailleur. Je passais beaucoup de temps dans son atelier. On écoutait les chansons de l’époque à la radio.
Un été, mon père m’a acheté une guitare. Il m’a dit : « tu ne joueras jamais aussi bien qu’Henri Crolla (NDLR : guitariste de jazz d’origine napolitaine. Il a notamment été le mentor de Jacques Higelin). J’ai continué malgré tout (rires), en apprenant avec les copains, un peu tous les styles et le blues en particulier. Et puis, un ami m’a confié son accordéon diatonique. Je ne l’ai pas touché jusqu’au jour où la Fête de l’Huma en 1972, j’ai entendu des cajuns qui en jouaient formidablement bien ! Cela m’a procuré une émotion énorme et j’ai commencé à pratiquer cet instrument. J’ai fréquenté les premiers folks clubs parisiens, d’abord le TMS (Traditional Mountain Sound) puis le Bourdon. A la même époque, j’ai été comédien, marionnettiste, musicien à Aubervilliers avec une troupe attachée au Théâtre de la Commune. J’ai eu ensuite l’envie d’aller vivre en province. En 1973, j’ai rencontré le groupe Perlinpinpin Fòlc et le journaliste/musicien Pierre Toussaint. Je les ai suivis à Agen. On faisait des bals, j’ai participé aux disques « Le Paradis des Vieilles maisons » et « Gabriel Valse ». J’ai commencé à créer mes propres compositions. Au départ, j’essayais d’écrire des musiques dans le style de ce que j’entendais. J’ai compris au fil des années que ce que j’inventais était une façon de me découvrir. C’est pendant cette période que j’ai rencontré Marie-Odile Chantran.
Vous avez commencé à faire du collectage ?
D’abord avec les amis de Perlinpinpin dans le Gers puis avec Marie-Odile en particulier dans les Landes. On passait beaucoup de temps à cela. C’était un terrain d’exploration passionnant, une sorte de conservatoire Les traditions fonctionnent en grande partie par mimétisme. Un individu entend un morceau, une chanson, il a envie de le jouer, la chanter, de se rapprocher du modèle et cela passe d’abord par la mémoire auditive. C’est le contact direct, l’imprégnation, l’oralité… Au bout d’un moment, les oreilles s'aiguisent, les mains finissent par obéir et on devient de plus en plus adroit…
La danse a toujours été très présente dans votre façon de concevoir la musique ?
Dès le départ ! Il me semble que savoir où, quand et comment on pose les pieds est primordial. La musique est habitée par le mouvement…
En 1975, il y a eu la rencontre déterminante avec Arrigo Guerrini en Italie. C’est lui qui vous a réalisé votre premier accordéon tout en bois à l’ancienne ?
Il était alors âgé de 80 ans. Celui qu'il m'avait construit était extraordinaire. Je lui en avais commandé un autre à trois rangées. Il est décédé avant de pouvoir le terminer.
Je ne savais plus quoi faire… En 1979, j’ai rencontré la famille Castagnari et Mario en particulier qui résidaient à Recanati dans la région Marches (Italie centrale). Le diatonique était alors considéré comme démodé. J’ai réussi à les convaincre d’en reprendre la construction. La qualité de leur travail fut certainement une des raisons du renouveau de cet instrument.
Dans les années 1980, j’ai fait connaissance avec des musiciens souvent venus du jazz et qui ont eu une grande influence sur ma façon de concevoir la composition, que ce soit sur scène ou sur mes galettes de l’époque (« La Forcelle ». Grand Prix du Disque de l’Académie Charles Cros. 1983, « Velverde ». Le Chant du Monde. 1988). Je pense à Marcel Azzola, Bernard Lubat, Michel Portal puis plus tard Louis Sclavis, Jacques Di Donato, Henri Texier ou André Minvielle. Ce sont des artistes qui sont toujours en recherche et avec qui j’ai participé de très nombreuses fois à la Fête de l’Humanité, au Festival Uzeste Musical et à de nombreuses autres manifestations.
M.J.C. Ris-Orangis (Essonne) pour les 20 ans du Folk-Club "Le Bourdon". Octobre 1990. (photo: Patrice Dalmagne)
Avec Marie-Odile Chantran, Denis Tuveri, Henri Texier, André Minvielle, Marcel Azzola. Paris Début années 1990. (Photo: Patrice Dalmagne)
Il y a eu aussi des musiques de films et documentaires ?
J’ai toujours été passionné par les mélodies du 7ème art. Je leur ai consacré deux volumes (« Cinéma-Mémoire ». 1993 et « Ciné-Suite ». 1998). Depuis 1983, j’ai créé les bandes originales sonores de nombreux films. Il y a eu entre autres la Valse de « Un Dimanche à la Campagne » de Bertrand Tavernier. Dans « La Trace », le réalisateur Bernard Favre, m’a amené à composer (avec Nicola Piovani) mais aussi à interpréter mon premier et dernier grand rôle (rires)... J’ai accompagné des ciné-concerts, j’ai enregistré des musiques nouvelles pour les films muets de Jean Renoir (« Tire-au-flanc », « La Petite Marchande d'allumettes »), Charlie Chaplin (« L’Emigrant », « le Vagabond ») ou JeanVigo (« A propos de Nice »).
Pendant les années 1990-2010, vous avez continué à énormément tourner autant en France qu’à l’étranger (Europe, Afrique, Inde, Extrême-Orient, Amériques Centrale et du Nord) ?
Il y a eu « Jacaranda » pendant trois semaines au théâtre du Petit Montparnasse (1995). Citons aussi « Voyages » à Paris (1999-2000), « Victor Bâton » d’après le roman « Mes Amis » d’Emmanuel Bove (2003), « Che Bella la Vita » (2003), « Son Ephémère passion » (2004), « Images de Marc » (2013), « La Petite Louise, ses voyages et son accordéon » (« Coup de cœur » de l'Académie Charles Cros (2013)...
A partir de « Les Petites chansons de Marc Perrone » (2007), vous vous mettez à chanter ?
J’ai toujours aimé raconter des histoires. Les mots autant que la musique m’ont toujours intéressé et ont toujours eu une place importante dans mes créations. La voix est la première musique.
Avec Olivier Cheres et Joseph Ligault. Estivales de Ris-orangis. Juin 2006. (Photo: Patrice Dalmagne)
Parlons maintenant du dernier opus paru en 2017 !
Il y a eu dix ans entre les deux dernières galettes. Les disques ont commencé à moins se vendre, j’ai eu des problèmes de santé… Quand mon ami le violoniste Gilles Apap venait me voir à Paris, il me proposait à chaque fois de faire une session et j’avais gardé cette idée dans un coin de ma tête. Le lendemain des attentats du Bataclan, le 16 novembre 2015, nous sommes allés enregistrer une partie de ce que l’on peut trouver dans le CD aux Lilas dans la région parisienne au studio de Patrick Sigwalt. Et puis j’ai dû retourner à l’hôpital… Ce n’était vraiment pas drôle ! Heureusement, j’avais avec moi un Iphone avec de nombreux enregistrements anciens de mes musiques de films, des impros… C’est ainsi que j’ai eu l’idée de réaliser un disque plus ou moins autobiographique qui parlerait de mon enfance, mais également des gens, des artistes que j’ai rencontrés. Je me suis à écrire des textes, des poèmes. Certains titres ont été inspirés par ce que j’entendais et voyais depuis ma chambre de l’hôpital Rotchild à Paris : les cris d’enfants de l’école maternelle voisine, les pas de danse d’une petite fille…
Puis on a enregistré sur le label Buda Musique de Gilles Fruchaux avec mes fidèles amis musiciens (Gilles Apap, André Minvielle, Marcel Azzola, Jacques Di Donato, Bernard Lubat, Jean-Luc Bernard). J’ai sélectionné les morceaux qui me touchaient le plus : beaucoup de valses, des improvisations totales, un poème de Baudelaire et les chansons de Marie-Odile. « Babel-Gomme », c’est comme je le disais déjà tout ce que j’aime : des musiques, des mots, des histoires…
Quel regard portait vous aujourd’hui sur votre carrière ?
Sur le moment, la création n’est jamais facile, c’est même assez douloureux…que ce soit au moment où on essaye de jouer dans un style ou lorsqu’on invente ses propres musiques. Dans un parcours comme le mien, j’ai eu autant de doutes que de plaisirs. Maintenant je réécoute et cela me satisfait plutôt (sourire) !
Entretien réalisé à Paris par Frantz-Minh Raimbourg.

Marc Perrone, la Seine-Saint-Denis sur le bout des doigts
Avec Babel-Gomme, son dernier disque, cet accordéoniste de génie raconte aussi la Seine-Saint-Denis, « son royaume » comme il le nomme affectueusement. Interview.
VOUS VIVEZ À PARIS DEPUIS LONGTEMPS MAINTENANT, MAIS EST-CE QUE LA COURNEUVE VOUS MANQUE PARFOIS ?
Non, mais j’y pense souvent. Comme disait Roland Barthes le vrai pays c’est le pays de l’enfance. On est arrivé à La Courneuve tard en 1957, je suis né en 1951. Avant on habitait la banlieue sud. J’ai habité La Courneuve jusqu’en 1973, et mes parents jusqu’en 81, les 4 000. Ensuite ils ont pu acheter un petit appartement rue de Bobigny.
QUAND VOUS Y PENSEZ C’EST AVEC OU SANS NOSTALGIE ?
Une certaine nostalgie… mais c’est pas le mot nostalgie. Nostalgie c’est un peu trop chargé. J’y pense plutôt. Je convoque souvent des images mentales de La Courneuve. Les Quatre-Routes en 57, le cinéma Le Mondial où on allait une fois par semaine avec mon père. La nationale 2. Les Quatre-Routes, c’est la limite, en face après c’est Drancy, on avait beaucoup de famille aussi à Drancy. Rue Maurice-Lachâtre. C’était un coin d’immigrés italiens, en tout cas du village de mon père il y en avait pas mal. Nous on habitait rue Anatole-France.
COMMENT S’APPELAIT VOTRE BÂTIMENT AUX 4 000 ? DEBUSSY, RENOIR, RAVEL, PRESOV OU BALZAC ?
Presov initialement appelé chemin de Saint-Denis.
QUAND ON PARLE DE DÉTRUIRE COMPLÈTEMENT LES 4 000 QU’EST-CE QUE ÇA VOUS FAIT ? LA DERNIÈRE BARRE ROBESPIERRE QUI EST AUSSI LA PLUS HAUTE SERA DÉTRUITE EN 2019.
Moi, j’ai vu tomber ma barre. J’ai eu les larmes aux yeux, forcément. J’ai une formule qui vaut ce qu’elle vaut. Je trouve en règle générale que « l’habitat du pauvre est volatile tandis que l’habitat du riche demeure ». Cela peut paraître un peu idéologique mais c’est une vérité historique. Au Vésinet depuis Napoléon III ça tient. Les 4 000 ont duré 40 ans. Et un ami architecte m’a dit que les constructions actuelles en béton préfabriqué sont toujours faites pour tenir 40 ans. On rase et on fait du nouveau. Si je prends La Courneuve que je connais bien pour l’avoir arpentée à pied toute mon enfance et mon adolescence. Les 4 000 c’est le plus gros exemple de chamboulement. Qu’est-ce qui fait patrimoine dans le 9-3, les voies de chemin de fer depuis la fin du 19e, le canal, la basilique de Saint-Denis mais à part ça dans le coin ?
AVEZ-VOUS RÉUSSI À GARDER VOS COPAINS D’ENFANCE ?
C’est drôle que vous me demandiez ça. J’y pense souvent. Un copain qui était au collège avec moi. Gilbert Poiret, Christian Mile que j’ai retrouvé au hasard de mes concerts. Et des copains de lycée il y en plus que ça… j’allais à Aubervilliers au lycée, car il n’y en avait pas à La Courneuve. J’étais un des rares rescapés du collège Raymond-Poincaré. J’ai été autorisé à poursuivre mes études, on n’était pas beaucoup. Tout le monde partait en apprentissage après la troisième. J’y suis allé après la rentrée 68, après les événements. Il était encore en construction, il n’était pas achevé, mais ils avaient ouvert quand même.
ET AU LYCÉE, QUELS ÉTAIENT VOS COPAINS ?
Mes copains de lycée sont Patrick Winzelle qui habitait la rue Henri-Barbusse à Aubervilliers à qui je donnais des cours de guitare. Serge Barthe qui habitait aussi les 4 000. Christian Coqblin. Je n’étais pas très brillant dans mes études. J’étais moyen. J’ai eu mon bac. Je l’ai passé deux fois je l’ai eu qu’une. Je faisais de la musique depuis l’âge de 15 ans. La chance que j’ai eue c’est qu’il y ait le théâtre de La Commune à Aubervilliers. Je tiens à rendre hommage à Jack Ralite qui l’a créé en 1965. Quand je suis sorti du lycée je n’avais pas trop envie d’aller en fac. Enfin si j’avais envie, je m’y suis inscrit, mais la musique me titillait déjà beaucoup. Le théâtre a été une porte ouverte. Il y avait une troupe qui s’appelait le théâtre Périféérique. Il cherchait quelqu’un de comédien, musicien. J’ai été salarié pendant six mois au Smic comédien. C’était formidable et à partir de là je n’ai plus voulu faire un autre métier.
VOTRE PÈRE ÉTAIT TAILLEUR. VOUS AURIEZ PU ÊTRE TAILLEUR VOUS AUSSI ?
Mon père m’a appris à coudre, à tirer l’aiguille. Mon père a dû abandonner son métier dans les années 60. Il est venu s’installer à La Courneuve. C’était pas les beaux quartiers, mais les gens se faisaient faire un costume régulièrement. C’était surtout l’avènement du prêt-à-porter. Il a laissé tomber, mes parents se sont mis à vendre des fleurs sur les marchés. Au marché d’Aligre à Paris.
VOUS AURIEZ PU ÊTRE FLEURISTE VOUS-MÊME ?
Oui j’aurai pu prendre le relais de leur commerce, ou aller travailler à la banque. On a eu 20 ans dans une période dorée. C’était le plein emploi. On savait qu’on pouvait se débrouiller 4-5 ans et puis changer de métier. Trouver un boulot alimentaire et s’en sortir quand même. Aujourd’hui si les gamins ne savent pas ce qu’ils veulent faire à 16 ans ils sont foutus.
AURIEZ-VOUS PU ALLER TRAVAILLER À L’USINE ? OU C’ÉTAIT INENVISAGEABLE ?
Les gens disent maintenant c’est terrible, c’est plus dur qu’avant. C’est pas vrai. Moi j’ai souvenir qu’avant c’était dur aussi. A côté de chez moi, j’ai vu, quand il y avait encore les usines : Babcock, Satam, les mecs qui sortaient du boulot. C’était dur. J’avais surtout pas envie d’aller travailler là. Il y a des copains qui y allaient bosser l’été pour se faire de l’argent de poche. Moi je n’ai jamais pu. Ça c’est jamais trouvé. Mais parce que je n’avais pas envie d’y aller. C’est un truc qui faisait peur, l’ouvrier. Aujourd’hui c’est dur autrement parce qu’il y a le chômage. A l’époque c’était dur aussi. Je vois les pères des copains à 50-60 ans ils étaient usés, ils étaient marqués. Nostalgique... ouais.
VOUS BOUGIEZ PAS MAL À L’ÉPOQUE ?
J’adorais marcher. Je me souviens qu’en 68 quand il n’y a plus eu d’essence. Mai 68 ça m’a passé un peu au-dessus de la tête. J’avais 16 ans j’étais en retard. J’allais à pied des Six-Routes au stade. Ma passion était de m’entrainer et rien ne pouvait m’arrêter. On arpentait. Après le triangle ça a été les 4 000, le lycée d’Auber, le stade à Drancy. A pied et en bus, le 152. On rayonnait de la Porte de la Villette à Blanc-Mesnil, Drancy, Bobigny, La Courneuve, Saint-Denis, Dugny, Stains ça c’était mon royaume entre guillemets.
LA SEINE-SAINT-DENIS VOTRE ROYAUME, POURQUOI ?
Parce qu’on l’arpentait. J’ai commencé à faire de l’athlétisme à La Courneuve et après je suis parti dans un club cheminot à Drancy à la limite entre Drancy et Le Bourget le long des voies ferrées. Les copains qui étaient dans ce club m’ont convaincu de venir les rejoindre. Je prenais le bus 143 qui allait des Six-Routes de La Courneuve au Bourget, au cinéma L’Aviatic, j’avais l’impression d’aller à l’étranger. C’était une expédition pour moi. Quand on a 15-16 ans c’était la possibilité de changer de territoire. On allait à la piscine à Pantin.
A DIX ANS, PETIT BONHOMME DE LA COURNEUVE, VOUS IMAGINIEZ COMME CELA VOTRE VIE ?
Je ne savais pas où j’allais aller mais je savais que j’allais y aller et que j’y prenais du plaisir. Je lisais Huckleberry Finn les romans américains, Mark Twain, Jack London Croc Blanc, l’exploration. Sans faire d’analyse psychanalytique je suis issu d’une famille qui a immigré, qui a pris le train et on m’a raconté ces histoires de train. J’ai toujours été passionné par le train et les voyages. Et j’ai fini par faire un métier où j’ai beaucoup voyagé. J’ai beaucoup lu les histoires de hobo, ces vagabonds qui voyageaient en train. Pour moi aller des 4 000 à Drancy, modestement, c’était voyager.
LES VOYAGES, LES AMIS, LA MUSIQUE, L’AVENTURE, LE CINÉMA, C’EST VOTRE VIE.
Oui mais je pense que c’est pour tout le monde comme ça.
TOUT LE MONDE N’A PAS EU VOTRE VIE.
Tout cela a été rendu possible car dans les années 60 -Ça fait tarte à la crème si je dis ça mais je le dis quand même- il y avait cette notion de culture populaire très forte. Les bénévoles qui s’occupaient du stade faisaient ça en plus de leur boulot et nous le transmettaient par passion. Ce que j’ai appris c’est que chacun pouvait recevoir de celui qui était un peu plus vieux que lui, qui en savait un peu plus. J’ai appris ça. Le militantisme syndical ou politique amenait les gens à avoir un mode de vie qui essaimait. Ils n’étaient pas repliés sur leur petit truc. Ça je l’ai appris quand j’étais gamin à La Courneuve. Avec les amis de cette époque on est toujours en relation affectueuse. Des relations qui durent toute la vie. Je crois que c’est important.
ETES-VOUS RETOURNÉ EN SEINE-SAINT-DENIS CES DERNIÈRES ANNÉES ?
J’ai quitté La Courneuve mais dans les années 80 j’ai enseigné l’accordéon et la danse au Centre Culturel Jean-Houdremont. Je suis toujours resté en lien.
VOUS RACONTEZ D’AILLEURS VOTRE ENFANCE EN SEINE-SAINT-DENIS DANS VOTRE DERNIER DISQUE BABEL-GOMME…
J’ai fait une chanson sur le 9-3 sur ce que je voyais de ma fenêtre. C’est important de raconter le paysage. Ce qui s’y est passé, ou ce qui pourrait s’y passer. Dans mon disque je raconte aussi une scène qui m’a frappé lorsque j’avais 13 ans, une valse musette dans un café. C’est un juke-box, il n’y a pas de musicien. La fille met 100 balles dans le juke-box. Elle prend un homme au comptoir, par le bras. Ils se mettent à tourner une valse musette. D’un seul coup c’est plus de l’opéra, c’est plus du spectacle mais c’est un truc inscrit dans la société, inscrit dans la vie. C’est du quotidien, c’est du vrai. C’est pas la peine d’aller à l’opéra. Ce couple dansait remarquablement bien. Comme même les danseurs de l ‘opéra ne savent plus faire. Ils ne savent plus danser la valse musette comme ça. C’est un savoir-faire important. Ça m’intéresse de capturer des images que j’ai vues et de les raconter en musique et en mots je trouve ça très important.
VOUS L’ACCORDÉONISTE, DANS CE DISQUE VOUS AVEZ MIS DES MOTS SUR VOTRE MUSIQUE.
J’ai toujours navigué entre les mots et la musique. J’ai commencé à être comédien sur le tas, musicien comme je pouvais. Il y a eu la mixité tout de suite de la parole et de la musique. A la fin des années 60, j’étais passionné de blues, et dans le blues il y avait beaucoup de blues parlé. Des musiciens américains sont venus en France et ont adapté le blues américain en français, comme Roger Mason.
VOUS N’AVIEZ PAS FAIT DE DISQUE DEPUIS LONGTEMPS. QU’EST-CE QUE ÇA SIGNIFIE POUR VOUS UN DISQUE ? DU STRESS ? DU TRAVAIL ? DU PLAISIR ?
C’est les trois à la fois. C’est beaucoup de travail avant même de dire je vais faire un disque. Quand on travaille artistiquement, on travaille tous les jours pour soi. Mon grand ami violoniste Gilles Apap qui a fait mon disque est venu me voir. J’avais des ennuis de santé, j’étais à l’hôpital. Il s’est assis sur mon lit. Avec sa boite à violon. On a commencé à rigoler, à parler. Il était entre deux avions. Il enregistrait le lendemain à Stockholm un concerto de Mozart. Il me pose 2-3 questions sur trois doigtés pour un même passage. Il me joue les trucs. Dans les trois cas, je trouve que c’était parfait. Il regarde la porte. Dans le couloir il y avait beaucoup de va-et-vient. Les aides-soignantes passaient et repassaient. Les yeux dans le vague il me dit : « On fout rien nous, (sous-entendu les musiciens les artistes) oui mais on y pense tout le temps ». C’est exactement ça. La création, même inconsciemment ça travaille. Cet album, j’ai eu l’idée de le faire dans cette période-là. Ça m’a travaillé mais c’est tellement passionnant d’écrire, de jouer, de chercher.
QU’EST-CE QUI VOUS RESSOURCE AUJOURD’HUI ?
Les amis, la musique, l’écriture.
LA MUSIQUE VOYAGE DANS L’ESPACE ET LE TEMPS. CELA VOUS PLAÎT QUE VOTRE MUSIQUE SOIT ÉTERNELLE ?
La musique a à voir avec l’éternité. Jouer, écrire, c’est travailler sur un temps qui dépasse très largement la vie humaine. Il y a une notion de temps et d’espace démentiel qui se découvre complètement quand on joue ou quand on chante. Quand je joue, quand j’écris souvent je m’y mets, on ne regarde pas l’heure. On ne voit pas le temps passer. On est complètement dans ce qu’on fait.
VOUS AIMEZ CHANTER ? VOUS AIMEZ VOTRE VOIX ?
Ma voix au sens lyrique du terme, au sens bien chanter (ndr Marc Perrone fait la moue) J’aime bien ma voix comme elle est. C’est difficile de s’entendre comme ça peut être difficile de se voir en photo. J’aime bien écouter la voix des autres, j’aime bien ce qu’on entend dans la voix des autres. J’aime bien ce que la voix des autres nous laisse entendre de ce qu’ils sont.
MARC PERRONE, UN TROUBADOUR ?
« Troubadour, dans le sens où la narration est mélangée à la musique oui. Jouer un morceau de musique c’est déjà raconter une histoire en soi. Raconter une histoire avec de la musique est encore plus intéressant. Sous la forme chanson, sous la forme texte. Troubadour oui, mais pas troubadour courtois en tout cas. Je trouve qu’en France le système culturel, au sens institutionnel a fait qu’on a séparé les genres. Il y a la danse, la musique, la comédie, c’est assez cloisonné. Je ne vais pas faire un cours d’histoire mais c’est Louis XIV qui a fait que la danse est devenue chorégraphique. C’est lui qui a créé les corps de ballet. Jusqu’à Louis XIV il y avait des musiciens qui jouaient pour faire danser, on les appelait les ménestriers. Il n’ y avait pas de séparation entre la musique et la danse. Louis XIV a fait en sorte que la danse en soi soit un art, la musique un autre art. La plus belle illustration de ça c’est l’opéra. Les musiciens dans une fosse qui tournent le dos à la scène et la chorégraphie qui se déroule dans leur dos. Ça sépare le mouvement de la musique. Pour articuler la musique en fonction du mouvement il faut voir le mouvement. C’est une intrication terrible la musique et la danse ».
Photographie François Bergeret
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Autour de la sortie de l'album Babel-Gomme
"La pesanteur, c'est compliqué!" : Le sourire de Marc Perrone et ses mots de minuit... Par Michel Mompontet
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Babel Gomme, par François Saddi
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Le romantique du diatonique, Interview de Marc Perrone / Propos recueillis par Philippe Krümm le 31/07/17
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Podcast "Folk à Lier" du 22 octobre 2017
A écouter sur ce lien
France Musique, "Etonnez-moi, Benoît" de Benoît Duteurtre
Emission du 20 janvier 2018 à retrouver sur le site dédié.
Album du mois, critique écrite par Marc Bauduin
A propos de "La Petite Louise : ses voyages et son accordéon"
Lubat et sa bande d'Uzeste sur leur 31
Auteur : Jean-Pierre Castro | SUD OUEST | Lundi 05 Janvier 2009
Accueil chaleureux des Uzestois par les membres présents du bureau du Cercle ouvrier, mais peu de Paroupians pour cette nuit-réveillon. Malgré cela, la Compagnie Lubat a dû refuser du monde, limitant volontairement à 150 le nombre de convives. Les tables avaient été disposées sur un côté, laissant l'autre moitié pour les musiciens et la piste de danse.
On sent une sorte de sérénité, de maturité dans cette maîtrise de l'espace et du temps. Également dans l'organisation artisanale du repas (par la compagnie elle-même) et son intégration dans le déroulement de la soirée : on a swingué entre les plats, on a chanté, on a dansé jazzy, ce qui n'a pas interdit l'inévitable rondeau. La diversité reste un repère.
« Créolisation »
On a beaucoup parlé, communiqué. La maturité, c'est aussi cette décontraction, cette ambiance amicale sud-girondine, qui fait corps maintenant avec les standards repris par Bernard, avec ses « tubes », avec cette « joyeuse créolisation » de la musique traditionnelle.
Dans cette région, beaucoup d'initiatives musicales se réfèrent à Uzeste, une culture se crée, dont les porteurs veulent être des « consom'acteurs » et non des « cons, sots, mateurs », selon un de ces jeux de mots qu'affectionne l'Uzestois.
Amis du premier jour, André Minvielle, l'alchimiste de la voix, qui vient d'être consacré aux Victoires du jazz, et Marc Perrone, le grand accordéoniste diatonique. Ce dernier, en duo avec son amie Marie-Odile Chantran, fait partager avec chaleur un monde de souffrance et de poésie, à travers ses créations et la reprise de belles chansons françaises.
Hommage à la fibre ouvrière
Sérénité et maturité ne signifient pas routine et repli sur soi. Beaucoup de nouveaux et jeunes musiciens ont été mis en scène pendant ce festival de fin d'année. On a remarqué pendant le réveillon le saxophoniste François Malarange et le jeune trompettiste Paolo Chatet.
Lubat et ses amis ne renoncent pas non plus à inscrire leur art dans la lutte pour l'émancipation du monde. Célébrant le début d'une année 2009 qui s'annonce comme particulièrement dure pour les plus démunis, ils rendent hommage à la tradition ouvrière du Cercle, et au syndicaliste paroupian Raymond Lagardère. Oui, décidément, la Compagnie Lubat est bien chez elle à Saint-Symphorien. Elle peut et doit revenir.