Francis Marmande

L'amour de Marc Perrone, par Francis Marmande
Le Monde, mercredi 4 avril 2007

 Marc Perrone

Marc PERRONE, diatonique (le plus complexe des accordéons simples),prend la route. Perrone chante ses P'tites chansons (BLC 70011). Superbe pochette (Jacky et Matthieu LIÉGEOIS), équipe de choc, pas une faute. Perrone est un être bon. Répertoire, de Desnos à Perrone, en passant par Brassens. Perrone embarque avec lui ses mélodies flottantes et son fauteuil roulant.

On ne s'attarde pas sur ce point (sa sclérose en plaques) par veulerie, mais pour insister : se trouver à côté de Perrone remet les choses en place.

 

Nous, nous bricolons nos menues névroses, nos anxiétés de pintadeau, avec un peu de chance un lumbago, nos énormes décisions drapées. Lui, il vit, il chante et il sourit, dans le désordre. Il chante la banlieue. Il aime la banlieue d'où il vient, la cité des 4000, à La Courneuve. Des types et des filles qui habitent les beaux quartiers ou de jolies villas assez bêtes n'imaginent même pas qu'on puisse aimer la banlieue. Aimer l'endroit où on a aimé. Aimer sa cité. Aimer son immeuble. Aimer sa cage d'escalier.

Adolescent, Perrone jouait de la guitare genre rock baroque dans la cage d'escalier : la meilleure « réverb » qu'il ait jamais connue. Par la fenêtre de ses parents, Marco admirait la Seine-Saint-Denis en majesté, les gazomètres, les barres à l'infini, le soleil rouge et la fête de L'Huma. Son conservatoire à lui, c'est la fête de L'Huma. Le jour où il a vu un groupe de vieux messieurs cajuns jouer du diatonique, son destin a pris des boutons.

Le mystère Perrone ne se fige pas à l'énergie vitale ni à ce sourire incroyable qu'il affiche même les jours de pluie ; encore moins à la troupe de jeunes et belles filles, de solides gaillards, qui l'entoure, le véhicule, s'occupe des instruments et du fauteuil. Le mystère Perrone, c'est l'amour qu'il déclenche, le respect qui l'environne, le bien qu'il fait. Pourquoi les musiciens les plus aventureux se pressent-ils pour le rejoindre ? Perrone joue si simple, si classique, si communicatif.

Perrone est le dernier à avoir su faire chanter l'amphi 24 de l'université Jussieu (exploit), les classes maternelles de cités (plus facile) et partout où il passe. Ne cherchez pas. Perrone est le dernier à fédérer des gens de tous les jours, des intellos, des gamins, les amateurs de punk, les fanas de jazz, les passants, Daniel HERRERO, poète épique, Dominique VERSINI, défenseure des enfants au ministère de la justice, Marcel TRILLAT, réalisateur, les exilés de partout, tous avec la même éclatante ferveur.

Aidé d'un groupe d'enfants malades, Perrone a écrit la chanson dont ils ont proposé les paroles : Guili Guili la mort. Chanson aussi déchirante que sereine. Si tout le monde savait chanter Guili Guili la mort, on n'en serait pas là. Marc Perrone, les copains (il dit les copains, comme Brassens, dont il reprend La Marine, paroles de Paul FORT), Marie-Odile CHANTRAN (sa compagne, elle chante joliment en scène et sur l'album), la troupe, les musicos, le souvenir de son père, les 4 000 de la cité des 4000 et de partout, c'est une leçon d'humanité. Une fête de L'Humanité à lui tout seul. Ecoutez, n'hésitez pas, si vous avez un coup de blues, le dépit politique, un sombre prurit d'abstention ou même une sclérose en plaques, n'hésitez pas une seconde. Filez chez le « docteur Perrone ».

À vos calepins, voici l'ordonnance : le 5 avril à l'Espace Cinéma d'Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), le 8 à Montreuil, le 24 au théâtre de Suresnes (Hauts-de-Seine), le 26 à Commercy (Meuse), le 27 au cinéma L'Atalante de Bayonne. Ça tombe bien, Perrone orchestre avec tant de goût les films de Jean VIGO. Vous ne comprendrez pas davantage, mais vous serez heureux. Vous ne serez guéri de rien, il ne manquerait plus que ça, mais vous saurez pourquoi ce monde est possible, la vie exacte, et les anges à portée de la main diatonique.

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