Bertrand Tavernier

Le prix des rêves, par Bertrand Tavernier

Marc Perrone

J’ai toujours soupçonné Marc Perrone d’être, au-delà du musicien magnifique que nous aimons, quelque peu sorcier, ou griot. Il suffit de le voir face à quelques centaines, voire milliers de spectateurs, obtenir immédiatement le silence, captiver l’attention et surtout en quelques notes raviver les souvenirs, faire ressurgir les racines.

 

Un homme tout seul, fragile, un instrument dont on lui avait dit qu’il était bêtement rural et qu’il se désaccordait facilement, quelques notes et voilà que des centaines de personnes se mettent à fredonner, ensemble, unies, soudées par la même émotion, par le même plaisir, le même partage, les mêmes retrouvailles.

Marc Perrone est un réparateur de mémoire comme d’autres étaient des réparateurs de porcelaines, un rebouteux de l’âme. Il fait revivre nos souvenirs sans aucun passéisme et sa tendresse, son invention musicale, ne lorgnent pas vers la nostalgie. C’est le respect qui l’anime, ou l’admiration, et l’ouverture  vers le monde.

Il recolle ces morceaux de vie que sont les chansons de Kosma, Delerue, Bixio, Yvain ou Van Parys, les mélodies héritées de son enfance, sorties du folklore ou de son imagination (la valse qu’il écrivit pour mon film Un dimanche à la campagne est d’une poignante mélancolie), les sublimes compositions de Jaubert, fait revivre son père, explore le pays de ses grands parents. Il voyage dans le temps et, généreux, vient nous montrer les photos et les cartes postales qu’il s’apprête à nous envoyer.

Il est du genre partageux. D’une certaine manière, c’est un tenant du libre-échange. Ou plutôt d’un échange libre. Trois notes de musiques contre un peu d’émotion. Cela n’intéresse pas les spéculateurs et PERRONE peut rester président de son FMI : Fonds Musical International. Car c’est vraiment tout un monde qui ressurgit dès qu’i fait chanter son instrument. Des images qui défilent sans même qu’il soit besoin de les projeter : ces chalands qui passent – Tiens, je crois que je viens de voir le père Jules, toujours en train de pester celui-là –, ces promenades au bord de l’eau qui fleurent bon le Front Popu, la voix de Gabin et ces escaliers de la butte si durs aux miséreux, ces bals de 14 juillet…

Et nous nous ressouvenons tout à coup que René Clair, Jean Renoir, Julien Duvivier furent aussi de remarquables paroliers de chansons. À force de dialoguer avec les souvenirs, de les tutoyer amicalement, jouyeusement, Marc Perrone nous les rends proches, contemporains. Et acquiert une sorte de talent un peu magique. Il voyage dans le temps, fait revivre des fantômes. Les musiques qu’il compose pour les films muets de Cavalcanti  Vigo ou Renoir semblent lui être soufflées par les metteurs en scène.

En regardant Catherine ou Tire-au-flanc, on croit entendre la voix du Gros comme l’appelait Gabin. « Épatant mon vieux Marc… C’est tout à fait ça… Virtuose sans effet technique, émouvant mais pas sentimental.
Tu me rajoutes quelques notes un peu gaies, sur ce plan et ce sera formidable »
Comment arrive-t-il à un tel résultat si simplement, en nous donnant l’impression que tout est facile ?
Et c’est faux car l’accordéon diatonique est, c’est vrai, un instrument vraiment difficile à accorder et qui demande une dextérité particulière. On ne la dirait pas à le voir, tout paraît couler de source. Peut-être parce qu’il sait le prix et la valeur des rêves.

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